QUELQUES PROPOS D’OUVERTURE
PAR NANCY BOUCHÉ
PRÉSIDENTE HONORAIRE DU PÔLE NATIONAL DE LUTTE
CONTRE L’HABITAT INDIGNE
La redécouverte des centres et quartiers historiques après la constatation d’une dévalorisation, voire d’une spirale du dépérissement … pourtant déjà dénoncée dès 1986 (Commissariat au Plan). Un patrimoine urbain en déshérence. Un développement de l’habitat indigne.
Toutes les politiques publiques, nationales et locales y ont contribué, via la péri-urbanisation, facilitée, notamment, par le financement du logement neuf privilégié et
l’accession sociale à la propriété sur du foncier libre, les effets pervers de l’urbanisme commercial et de la guerre des prix…
Conséquences politiques : montée du FN/RN et Gilets jaunes ?
Les quartiers anciens et leur spécificité ont été quasi oubliés depuis la décentralisation de l’aménagement de 1986, la fin du FAU qui avait succédé aux ”villes moyennes”. Très peu présents dans les différents contrats de politique de la ville et de l’ANRU. Les quartiers anciens sont considérés par la technostructure comme «riches” et aisés grâce à la supposée «gentrification”, sans problèmes sociaux justifiant l’intervention de la solidarité nationale…
Le réveil des ”politiques” au niveau national ou institutionnel est récent : PNRQAD – 2009–2016, programme de revitalisation des centres-bourgs lancé fin 2014, manifeste de l’association Villes de France appelant à un «plan national de revitalisation des centres-villes” — mars 2016, assises de l’Association des petites villes de France – conventions spécifiques de la CDC 2016 — rapport Dauge février 2017 — le nouveau programme ”cœur de ville” lancé en décembre 2017 et son appel à manifestation d’intérêt; chapitre de la loi ELAN consacré à la revitalisation des centres-villes.
Ces programmes ont en commun d’appeler à des plans d’action, d’ouvrir des financements, plus ou moins conséquents selon les cas, pour l’ingénierie, parfois à des bilans d’opérations, et d’être des programmes ”fermés” à une sélection de collectivités.
« Depuis vingt ans, on fait à peu près le contraire de ce qu’il faudrait pour activer les centres-villes (…). Il faut remettre la main sur le cœur », poursuit-il. Car selon lui « un territoire ne peut vivre et être attractif sans un centre dynamique ». « Les territoires dont la population augmente sont ceux où le cœur est le plus attractif », observe-t-il encore, tout en prévenant : «Ne poursuivons pas ce rêve absolu de ne travailler que sur le commerce. » (manifeste de l’association Villes de France)
Aujourd’hui :
— enjeux d’habitat, de vacance, d’habitat indigne, de
copropriétés anciennes…
— enjeux du commerce… mais la ville n’est pas que commerce
— enjeux des services publics
— enjeux de circulation
— enjeux du tourisme pour certaines…
Mais pas plus le seul commerce que le seul tourisme ne peuvent tenir lieu de projet de ville…
Quels habitants et quel patrimoine urbain pour y vivre ?
Les freins à la revitalisation tant pour l’habitat que pour les commerces ou divers services :
— la morphologie urbaine et ses contraintes
— les structures de propriété
— l’état d’insalubrité, de péril et d’abandon d’un fort pourcentage d’immeubles — vacants
— les coûts de l’intervention en dentelle dans du bâti existant
— l’évolution des modes de vie…
Les outils traditionnels de l’action publique sont connus, mais sont-ils suffisants ?
Les outils d’action et d’aménagement :
– l’incitatif – il est financier – le coercitif, il est juridique : le champ des obligations de faire, de la DUP et leurs
limites. Un bon outil doit marier les deux approches…
- les outils de programme et de plan d’action, axés sur l’habitat :
- les OPAH et OPAH-RU , essentiellement incitatives sans effets sur les structures de propriété, sauf exception lorsqu’on y intègre des DUP
- les outils coercitifs axés sur l’habitat (ou non si DUP pour autre objet)
- les opérations de restauration immobilière
- les DUP à la parcelle, à l’immeuble, en expropriation
- les opérations de RHI
- les nouvelles opérations de revitalisation du territoire (ORT) : un contrat intégrateur présentant les caractéristiques d’une l’OPAH-RU avec un important volet relatif aux exploitations commerciales…
— les cadres de travail - la concession d’aménagement – avec ou sans ZAC
- la quasi régie/SPL
- les prestations de service
- le mandat d’aménagement
Les limites et les manques de ces outils d’aménagement dans la réalité opérationnelle
Ces outils de programmation et de financement que sont, notamment, les OPAh et les ORT – inscrites au CCH et non au CU — n’ont guère évolué dans leur dimension juridique et opérationnelle depuis les années 1975 — ils n’ont pas d’effets de droit sur la structure des propriétés… alors que perdurent ou se développent des situations difficiles :
— comment réorganiser des propriétés, pour retrouver habitabilité mais aussi de la sécurité, de l’hygiène, des dessertes ou des escaliers ?
— comment aider les petites copropriétés sous administrées, issues de la division des monopropriétés familiales, encouragées par des mécanismes fiscaux ?
— comment lutter contre les divisions locatives anarchiques de pavillons, maisons, logements quand la loi les encourage ?
— comment joindre des immeubles à petits gabarits pour trouver des surfaces ?
— comment gérer les RDC commerciaux et débloquer les logements du dessus ?
— quel statut pour les cœurs d’ilots ayant fait l’objet de curetage sous DUP ?
— quels produits de sortie lorsque des immeubles ont été acquis sous DUP et qu’aucun décret ne permet leur cession à d’autres que la collectivité publique ou un établissement public ? (cas en ORI, expropriation de droit commun, biens en état manifeste d’abandon). Seule la ZAC permet à cession aux tiers…
— comment mobiliser des bailleurs sociaux pour intervenir dans ces quartiers, alors que pèsent sur eux de fortes contraintes financières et que le regroupement à marche forcée des organismes HLM crée des situations monopolistiques dans les régions…
Acquisition publique, initiatives privées ?
Les opérations engagées aujourd’hui reposent largement sur des acquisitions publiques (à l’amiable ou forcées) qui sont d’un coût élevé, dans un contexte général de limitation des dépenses publiques.
Peu d’évolutions dans les modes de faire ; aucune modernisation des outils d’aménagement n’a été opérée depuis 1976… sauf à la marge… On a travaillé sur les grandes copropriétés, les grands projets urbains. Les novations en matière d’aménagement ne visent ni ne sont adaptées au travail en dentelle dans les quartiers historiques…
Comment organiser et inciter des groupements de propriétaires pour être à l’initiative de travaux d’intérêt collectif ? Voire être l’auteur de projets de détail, encadrés par la collectivité ? On a oublié les AFU, notamment les AFUA… L’AFU n’est pas un mécanisme fiscal, mais un outil d’aménagement…
Sur tous ces sujets, l’ANAH s’est mobilisée, a fait travailler des experts, pour tenter de répondre à ces situations dont elle a une bonne connaissance… mais cela n’a toujours pas débouché sur des dispositions législatives… alors que la loi ELAN a introduit tout un chapitre sur la revitalisation des centres villes.
La ville et ses projets : quelle ingénierie, quels intervenants ?
– penser un projet pour la ville, avec quels appuis ? méthodologiques, techniques, financiers
— villes moyennes ou grandes et petites villes : quels services, quels intervenants possibles ? L’agglomération est-elle le maître d’ouvrage pertinent ? mais à quelles échelles et avec quelle gouvernance ?
— quelle ingénierie de mise en œuvre ? Quels profils professionnels ? Il y a des déserts…
— quels intervenants dans l’aménagement, dans l’habitat, pour le commerce, dans la conduite de projet, dans l’aménagement de détail ?
- quasi absence des bailleurs sociaux … les regroupements post ELAN ont crée des empires et des monopoles…
- quasi absence de SEM dans certains départements ou villes, SEM inadaptées dans leur métier… les équilibres financiers
– quels outils d’aménagement ? ZAC, hors de propos, concession inadaptée aux petites villes; prestations et mandat d’aménagement implique la présence de prestataires compétents et d’une structure de travail organisée…
Il y a encore place pour mettre en œuvre des projets d’envergure pour asseoir, si cela est encore possible, des projets durables de revitalisation des centres urbains et quartiers historiques…
Nancy Bouché
mai 2019